jeudi, février 7 2013

Frankenstein not dead

Frankenstein-Elt graphic novel

Une adaptation en BD qui a le mérite d'être fidèle au roman de Mary Shelley. Toutes les péripéties y sont, même l'improbable épisode de la belle Turque, trace de la littérature du siècle d'avant (le 18ème). Le livre est accompagné d'un enregistrement du texte de la BD sur 2 CD, car cette édition est destinée à améliorer son anglais. Cette BD n'en est pas pour autant scolaire, ce n'est pas une illustration, et le traitement est résolument comics (ce qui peut d'ailleurs appeler certaines réserves). Frankenstein not dead.

mercredi, janvier 16 2013

Vincenzo Natali


Vincenzo Natali

Durant les années 70 sont apparus de grands noms de la science-fiction et du fantastique au cinéma : Steven Spielberg (qui a depuis élargi son registre), John Carpenter, David Cronenberg, James Cameron... C’est la génération de l’après-guerre, dite du baby-boom.

Les enfants de cette génération commencent à percer. Les plus notables seraient aujourd’hui :

- Peter Jackson : Le seigneur des anneaux ; King Kong ; Bilbo le hobbit...

- Zack Snyder : L’armée des morts, 300, Watchmen, Le royaume de Ga’Hoole, L’homme illustré...
- Guillermo del Toro : L’échine du diable ; Hellboy ; Le labyrinthe de Pan...
- Alexandre Aja : La colline a des yeux ; Piranhas 3D.

De cette génération, le plus cohérent et le plus novateur est aussi le plus discret : Vincenzo Natali, auteur de Cube, Cypher, Nothing, et Splice.



Cube
(1997)

Vincenzo natali - Cube


Bande annonce : http://www.cinemovies.fr/film/cube_e60943/videos/1/m187402

Cube met en scène un groupe de 6 personnes, prisonnières d'une gigantesque structure composée de pièces cubiques, beaucoup d'entre elles contenant des pièges cachés et mortels. Il s'agira pour ces 6 personnes de survivre et de s'évader. On devine déjà le potentiel de fascination et de suspense de Cube.

Cet aspect est pleinement assumé, et nous avons à faire à un thriller en huis-clos sans temps mort et avec rebondissements. Son idée de base lui vaudra la médaille de l'originalité (bien que découlant d'un épisode de la Quatrième Dimension). La seule réserve est qu'un léger mal de tête peut saisir le spectateur lorsque les mathématiques s'invitent dans l'histoire.

Mais le film va au-delà de l'anecdote. Il a valeur de fable. Les 6 prisonniers ne se connaissent pas, mais ils ne semblent pas avoir été choisis au hasard : chacun, même le plus humble, a des talents qui réunis devraient permettre au groupe de surmonter l'épreuve. Mais les failles et les perversions des uns et des autres vont entraver cet espoir. D'autre part, le mystère du cube ne donnera lieu à aucune révélation ésotérique : la thèse la plus convaincante est qu'il est une absurdité collective, du même type finalement que celle crée par nos pathétiques héros. De quoi méditer sur la condition humaine.

Succès public au Japon et en France, succès critique (primé aux festivals de Toronto et de Gerardmer), Cube aurait du être à Vincenzo Natali ce que Duel fut à Steven Spielberg : le petit film tourné à l'économie qui met sur orbite une carrière. Mais la suite allait être plus compliquée... Il passe un an à développer Splice, mais le financeur se retire.

Critiques :

http://www.devildead.com/indexfilm.php3?FilmID=662&NamePage=cube--collector-2-dvd- http://www.horreur.net/critique-150-150--Cube.html
http://sfstory.free.fr/films/cube.html

http://cinemafantastique.be/?page=critiques&id_film=1553

http://myscreens.fr/2010/cinema/culte-du-dimanche-cube/



Cypher (2002)

Vincenzo natali - Cypher


Bande annonce : http://www.cinemovies.fr/film/cypher_e60968/videos/1/m183726

Retour du film d'espionnage comme on n'en fait plus depuis la fin de la Guerre froide. L'histoire, vertigineuse lorsqu'on s'aperçoit que les manipulateurs sont eux-mêmes manipulés, s'insère dans un univers authentiquement cyberpunk : omniprésence des réseaux informatiques, puissance des multinationales, pirates informationnels, ingénierie des esprits, etc.

Certains indices font rapidement comprendre que le film ne se prend pas tout à fait au sérieux : le personnage principal est un peu idiot, le style visuel s'autorise des outrances dignes de Brazil, inventant un rétro-futurisme basé sur les années 50 américaines. Ca fume et ça boit du scotch comme dans un film d'Humphrey Bogart... Jeu sur les clichés : la femme fatale, l'idiot. Le clin d'oeil final rappelle Cube : tout le monde croit manipuler tout le monde, mais dans le fond c'est le bénêt qui tire son épingle du jeu. Un film joueur, brillant exercice de style, une sorte de Ocean's eleven cyberpunk.

Selon Vincenzo Natali, Cypher sera très mal distribué aux Etats-Unis, rendant sa distribution à l'étranger aléatoire.

Critiques :

http://www.devildead.com/indexfilm.php3?FilmID=778&NamePage=cypher http://cinema.fluctuat.net/films/cypher/618-chronique-cube-au-carre.html
http://likezemoon.canalblog.com/archives/2009/07/27/14528415.html

http://www.krinein.com/cinema/cypher-798.html

http://cinemafantastique.be/film1555-Cypher.html

http://lefilmetaitpresqueparfait.hautetfort.com/archive/2009/05/25/cypher-2003.html



Nothing
(2002)

Vincenzo natali - Nothing


Bande-annonce : http://www.cinemovies.fr/film/nothing_e55473/videos/1/m188509

Vincenzo Natali s'est ici essayé à une fantaisie digne de Michel Gondry, avec héros baltringues et univers déconnecté de la réalité. En beaucoup plus radical. Nothing ne sera pas exploité en salle en France.

Critiques :

http://www.excessif.com/cinema/critique-nothing-4706885-760.html
http://www.devildead.com/indexfilm.php3?FilmID=1662&NamePage=nothing

http://www.ecranlarge.com/movie_review-read-9395-10367.php

http://critico-blog.viabloga.com/news/nothing-vincenzo-natali

http://www.critikat.com/Nothing.html

http://www.krinein.com/cinema/nothing-6482.html

http://cinema.fluctuat.net/films/nothing-3/1766-chronique-dans-le-neant-exactement.html

http://cinemafantastique.be/film1556-Nothing.html?article234



Splice (2009)

Vincenzo natali - Splice


Bande annonce : http://www.cinemovies.fr/film/splice_e99971/videos/1/m188915

Peinture moderne du savant fou. Ce n'est plus un fasciste mais une bande de geeks sympas qui travaillent en musique, avec des joujous rutilants et fort couteux. Des enfants gâtés qui dérapent, armés des meilleures intentions du monde. Finesse idéologique qui se trouvait déjà dans Cube (le cube n'est pas le fruit d'un complot, mais d'un système que personne ne contrôle et qui a engendré un monstre).

Pas innocents quand même, les geeks. Dans ce labo à l'ambiance Google, le savant fou est plus particulièrement une femme. Le personnage de Sarah Polley est très marquant. Irritante et attachante en même temps. D'apparence sure d'elle-même et dominatrice, dame de fer en jeans et cuir, souterrainement travaillée par un drame atroce délicatement suggéré. Elle porte la tragédie et sa trajectoire est assez estomaquante, quand on pense à l'épilogue, glaçant. Adrien Brody fournit un contrepoint sans être un faire-valoir, parfait.

Le film entretient un malaise très cronenbergien, la thématique sexuelle, moins frontale que chez le visionnaire de Toronto, est pour le moins dérangeante, il y a quand même là-dedans une sorte d'inceste, de la pédophilie, et du vrai sadisme. Quand aux créations biologiques de nos geeks, elles sont un beau morceau d'horreur technologique. Dernière comparaison avec Cronenberg, la concision de la construction dramatique de Splice n'est pas sans rappeller La Mouche. Finalement, cette proximité avec Cronenberg est peut-être la principale faiblesse du film : Splice ne déparerait pas dans la filmographie du maitre ontarien, contrairement à Cube qui m'apparaissait comme tout à fait singulier.

La patte de Vincenzo Natali me semble tenir dans la portée éthique du film, rarement un souci de David Cronenberg. J'ignore si les manipulations biologiques décrites font écho à une quelconque réalité, mais la dernière image, le point final est un point d'interrogation placé sur les biotechnologies, le film donne chair à tout le bla-bla porté par les médias autour de la bioéthique, il éveille la vigilance de façon convaincante, intelligente et sensible.

Deux points de répulsion ont contribué à attirer une réputation mitigée à ce film. D'abord la sexualité et l'horreur biotechnologique ont sans doute produit le même effet sur le public des fans, qui aime jouir de ses électrochocs émotionnels mais qui n'aime pas être perturbé, que le sang qui se répand sur l'assistance bon chic-bon genre de cadres supérieurs lors d'une scène mémorable. A l'inverse, lorsque le film tourne dans ses vingt dernières minutes au classique thriller horrifique, la partie la plus esthète du public commence à s'ennuyer. On éspère que ce dilemme, résolu une fois avec Cube, ne poursuivra pas Vincenzo Natali durant le reste de sa carrière.

Critiques :

http://www.excessif.com/cinema/critique-hybrid-4917971-760.html
http://www.devildead.com/indexfilm.php3?FilmID=2057&NamePage=splice-

http://www.ecranlarge.com/movie_review-read-12552-49791.php

http://www.lepost.fr/article/2010/06/29/2134239_critique-splice-de-vincenzo-natali.html

http://www.films-horreur.com/2010/07/critique-splice-vincenzo-natali-2009/

http://www.cadependdesjours.com/2010/07/03/splice-de-vincenzo-natali/

http://www.critikat.com/Splice.html

http://cecile-desbrun.over-blog.com/article-splice-de-vincenzo-natali-critique-du-film-53539303.html

http://www.anglesdevue.com/2010/07/04/splice-de-vincenzo-natali/

http://www.lescinephiles.net/t812-splice-de-vincenzo-natali-2009

http://www.sueursfroides.fr/critique/splice-1636

http://cinema.fluctuat.net/films/splice/10269-chronique-Serie-B-is-.html



Et pourtant, il tourne. Il y a un aspect clinique dans les films de Vincenzo Natali, qui n’est pas sans rappeler le style de Stanley Kubrick, ou celui de George Lucas dans THX 1138, qui lui a sans doute valu d’être choisi pour adapter les romans IGH de James Ballard, et Neuromancien de William Gibson, romans empreints de la déshumanisation des sociétés industrialisées. Il travaille également sur l’adaptation de la BD Swamp thing, d’Alan Moore, un comics à la tonalité tragique.

Entretiens avec l’auteur :

Sur ses 4 premiers films :
http://www.excessif.com/cinema/actu-cinema/dossiers/interview-vincenzo-natali-splice-5883422-760.html (texte)
A propos de Splice :
http://www.allocine.fr/personne/fichepersonne-17710/interviews/?cmedia=19123594
(vidéo)
http://www.ecranlarge.com/article-details-16657.php
(version vidéo ou texte)
http://www.ecranlarge.com/article-details-16700.php
(Vidéo sans sous-titres)
http://www.lejdd.fr/Culture/Cinema/Actualite/Vincenzo-Natali-Le-futur-va-etre-interessant-203978/
(texte)
http://www.freneticarts.com/rcinema/video.php?ID=79
(vidéo)

A propos de Cypher :
http://www.allocine.fr/personne/fichepersonne-17710/interviews/?cmedia=18351576 (vidéo)
Sur quelques oeuvres d'autrui :
http://www.rollingstone.fr/Les-films-de-monstres-de-Vincenzo_1951.html (texte)
A propos de la vague des remakes de classiques du fantastique et de l’horreur : http://www.ecranlarge.com/article-details-16671.php (vidéo sous-titrée)
Témoignages : Delphine Chanéac :
http://www.excessif.com/dvd/actu-dvd/dossiers/splice-interview-de-delphine-chaneac-6124455-760.html

lundi, janvier 14 2013

Horizons nouveaux


The rise of a planet

Howard Phillips Lovecraft

« Ce qui est, à mon sens, pure miséricorde en ce monde, c'est l'incapacité de l'esprit humain à mettre en corrélation tout ce qu'il renferme. Nous vivons sur une île de placide ignorance, au sein des noirs océans de l'infini, et nous n'avons pas été destinés à de longs voyages. Les sciences, dont chacune tend dans une direction particulière, ne nous ont pas fait trop de mal jusqu'à présent ; mais un jour viendra où la synthèse de ces connaissances dissociées nous ouvrira des perspectives terrifiantes sur la réalité et la place effroyable que nous y occupons : alors cette révélation nous rendra fous, à moins que nous ne fuyions cette clarté funeste pour nous réfugier dans la paix et la sécurité d'un nouvel âge de ténèbres. »

Howard Phillips Lovecraft, Dans l'abîme du temps (1935).


Pierre Teilhard de Chardin

« Autour de nous, les Sciences du Réel étendent démesurément les abîmes du temps et de l'espace ; et elles décèlent sans cesse des liaisons nouvelles entre éléments de l'Univers. En nous, sous l'exaltation de ces découvertes, un monde d'affinités et de sympathies unitaires, aussi anciennes que l'âme humaine, mais rêvées jusqu'ici, plutôt que vécues, s'éveillent et prennent consistance. Savantes et nuancées chez les vrais penseurs, naïves ou pédantes chez les demi-instruits, les mêmes aspirations vers de l'Un plus vaste et mieux organisé, les mêmes pressentiments d'énergies inconnues et employées sur des domaines nouveaux, apparaissent partout à la fois. Il est presque banal, aujourd'hui, de rencontrer l'homme qui, sans pose, tout naturellement, vit avec la conscience explicite d'être un atome ou un citoyen de l'Univers.

Cet éveil collectif, semblable à celui qui fait prendre, un beau jour, à chaque individu, la conscience des vraies dimensions de sa vie, a nécessairement sur la masse humaine un profond contrecoup religieux, - pour abattre ou pour exalter.

Pour les uns, le Monde se découvre trop grand. Dans un pareil ensemble, l'Homme est pedu, - il ne compte pas : nous n'avons dès lors qu'à ignorer et à disparaître. - Pour les autres, au contraire, le Monde est trop beau : c'est lui, et lui seul, qu'il faut adorer. »

Pierre Teilhard de Chardin, Le milieu divin (1926).


Quelle autre littérature que la science-fiction a répondu à ce formidable élargissement de la conscience ? Et dans quelle mesure la science-fiction l'a-t-elle faite ? Dans quelle mesure la science-fiction a-t-elle été sérieuse ? Questions pour le critique.


Vinyan


Vinyan
J'ai vu un beau film fantastique francophone : Vinyan, du belge Fabrice du Welz. Quoique parlé en anglais, car il s'agit d'une coproduction franco-belgo-anglo-australienne, on l'assimilera à une production francophone, l'équipe technique et la distribution relevant principalement de la francité. Sortie en octobre 2008, une réputation peu flatteuse m'avait dissuadé de voir ce film ; c'est bien dommage.

L'argument : une couple d'occidentaux, Jeanne (Emmanuelle Béart) et Paul (Rufus Sewell : Dark cityChevalier) a perdu son fils en Thaïlande, au cours du tsunami de 2004. Au cours d'une réunion de charité destinée à réunir des fonds pour une région isolée du pays, la projection d'une vidéo tournée sur place fait apparaitre une silhouette qui évoque l'enfant perdu. Jeanne s'accroche résolument à cet espoir, et entraine son mari dans un voyage aux confins de la Thaïlande et de la Birmanie, aux confins du monde des vivants et des morts...
 
Vinyan se distingue d'abord par la luxuriance de son image, les paysages étonnants que peut recéler la péninsule indochinoise, les couleurs pétillantes des scènes nocturne qui évoquent Apocalypse Now. La bande-son a fait aussi l'objet d'un gros travail, moins par la musique (plutôt discrète) que par l'ambiance qu'elle distille.
 
La parenté avec Apocalypse Now se fait aussi par l'action, un languissant périple dans une zone de jungle, moins languissant quand même que celui d'Aguirre, la colère de Dieu (Werner Herzog), mais évoluant semblablement vers une situation de plus en plus déliquescente et des paysages de plus en plus fantasmagoriques, et bien fascinants. 
 
Vinyan est une expérience de cinéma, dont l'aspect énigmatique et méditatif irrite certains. Evidemment, si on n'a que les séries américaines comme référence filmique... Mais ce film n'est pas tout à fait singulier dans le paysage contemporain, ses qualités, son traitement esthétisant des thèmes de l'aventure et du merveilleux évoquent un autre film récent, Valhalla rising (Le Guerrier silencieux, 2009). Que plusieurs cinéastes oeuvrent dans cette voie étroite est une bonne nouvelle pour tous ceux qui sont fatigués du canon hollywoodien.

L'étrangleur de Boston


L'étrangleur de Boston

L’étrangleur de Boston n'a pas été conçu comme un film d’horreur, mais il marque une étape supplémentaire par-rapport à Psychose. D’abord dans l’examen des dégâts provoqués par le tueur, détails très crus pour un film produit par un grand studio en 68 (« la victime a-t-elle été violée ? – Non, le docteur n’a relevé aucune trace de sperme »). Psychose apparait finalement très pudique sur l’aspect sexuel de la tuerie maniaque. Ensuite sur l’examen du psychisme du tueur. Le film d’horreur montre le tueur comme une machine à tuer plus ou moins sophistiquée. L’étrangleur de Boston consacre son dernier quart à l’approche de l’énigme d’un tueur psychotique : il n’est pas un monstre, mais un enfant apeuré. Le dernier plan laisse une impression durable, celle de cet enfermement typique du thriller horrifique, mais là c’est le tueur qui n’en sort pas. Qu'on considère que dans Halloween, 10 ans plus tard, le tueur est explicitement décrit comme une menace incompréhensible qui ne mérite qu’un traitement, l’extermination : il est permis de penser que tout le film d’horreur des 40 années suivantes est une régression par-rapport à ce film de grande classe.

samedi, décembre 31 2011

L'art et le sacré




Salvador Dali, Corpus hypercubus, 1954.



Dans le fond il faudrait réintroduire le sacré en littérature, retrouver une parole sacrée. Ce n'est qu'un des aspects de la littérature, mais il est central. Dans le fond il donne sens à tous les autres.

Je viens de découvrir une exposition consacrée aux rapports entre l'art moderne et la religion : Traces du sacré, qui se tint au Centre Pompidou du 7 mai au 11 août 2008. Magie de l'internet : le contenu est en ligne.

C'est pour l'instant surtout le prologue de cette exposition qui a retenu mon attention, une conversation entre Marcel Gauchet et Jean de Loisy, animée par Roger Rotmann, qui se déroula le 24 avril 2008. La vidéo est ici :

http://traces-du-sacre.centrepompidou.fr/exposition/autour_exposition.php?id=108

Discussion de haute volée, sans doute incompréhensible sans une connaissance des grandes lignes de l'histoire politique, intellectuelle et artistique des deux derniers siècles. J'ai éprouvé le besoin de mettre noir sur blanc cet échange entre les trois hommes ; l'audiovisuel a ses limites... Ce faisant, j'ai procédé à un remix pour améliorer la logique de l'ensemble. J'espère ne pas trop avoir fait dire aux trois hommes autre chose que leur pensée...


<< Il y a une connection entre l'art et la religion. C'est une des manière d'écrire l'histoire de l'art. Il s'agit de comprendre cette connection.

L'art a gagné en importance sociale au fur et à mesure de son émancipation de la religion, dont il était au départ un serviteur. Durant toute la période "classique" de l'art, du XVè au XIXè siècle, il tire son prestige d'une ambiguité sur sa fonction. Là, à la fois il atteste de l'autonomie du monde humain ; c'est l'artiste comme inventeur, comme démiurge, comme producteur d'un monde qui ne doit qu'à l'homme ; mais d'autre part, il entretient une connivence avec le religieux, il est un associé-rival, et bénéficie d'un "transfert direct de sacralité", soit qu'il se situe dans le prolongement de la religion, ou dans une liberté revendiquée contre la religion.

La rupture, qu'on datera grossièrement en 1900, c'est le rejet du rôle organisateur des religions dans nos sociétés, manifesté par un anti-cléricalisme virulent. L'art se trouve alors devant une grand bifurcation. Il participe de cette émancipation, et devient dans la culture moderne le seul commerce possible de l'humain avec l'invisible. C'est le moment glorieux de l'art.

Il y aura d'une part chez les artistes une inquiétude devant cet éloignement du religieux. « Je poursuis en vain ce dieu qui se retire » (Baudelaire). Les romantiques allemands vont ainsi partir à la recherche d'un ordre supérieur à déchiffrer dans la Nature. Il y aura une volonté des artistes de donner à leur oeuvre une présence insistante, à défaut d'une valeur spirituelle articulée à une religion ou à une politique. D'où l'intérêt pour le dyonisiaque, le chamanisme, les formes extra-européennes d'art (Nijinski, Picasso, Bataille...), qui traduisent le désir de contacter le sacré, en dehors de toutes croyances.

Il faut rappeler le choc bien oublié aujourd'hui des découvertes ethnographiques. Notamment des religions non-occidentales, riches de profondeurs vécues, en regard du dogmatisme de la religion occidentale. Il faut aussi évoquer, pour expliquer ce sous-courant si puissant, la notion de "vie", une des lignes de force de la philosophie du 20ème siècle, qui consacre le corps, et notamment la danse. Celle-ci ne sera jamais un pur exercice corporel, mais aussi une communication avec des puissances telluriques et cosmiques, renvoyant à une sacralité primordiale. Pendant quelques années, la danse deviendra le premier des arts, rassemblant le monde pulsionnel et le monde spirituel dans le même corps, corps saisi par le "tout-autre".

Les artistes vont aussi travailler fortement à inventer un nouvel humain, une utopie extrêmement politique. Ils vont travailler à une architecture pour ce nouvel humain, une spiritualité ou des formes artistiques pour ce nouvel humain. Voir Paul Klee, ''homo novus''.

"L'homme nouveau" est une idée qui remonte à la Révolution française, faisant écho à Saint-Paul et à l'idée de conversion, la transformation de l'homme par l'intérieur. Les Saint-simoniens ont mis les premiers en avant le rôle dans une Révolution des "hommes à imagination." De confidentielle, cette idée devient plus largement partagée vers 1900 par ce qui devient "l'avant-garde" culturelle. Le 20ème siècle est le siècle des révolutions, où il s'agit non plus seulement de prendre les manettes de l'Etat, mais d'inventer un nouveau monde qui ne doit qu'à l'humain. L'imaginaire révolutionnaire se répand. L'altérité du futur devient constituante de l'image que la collectivité a d'elle-même.

Par ailleurs Freud révèle un nouvel espace intérieur, dont nous ne savons rien, sinon qu'il est décisif. Se révèlent aussi des invisibles cosmiques, par l'astrophysique, par les rayons X, c'est l'invisible de l'esprit, l'inconscient de la vue.

Il s'agit de donner un contenu à ce futur riche de potentialités extraordinaires, de donner une forme tangible à ces inconnus. Les artistes deviennent les moteurs de l'invention historique.

Cet espoir est vécu par certains d'une façon tragique, avec le pressentiment de guerres à venir nécessaires, préludes d'une nouvelle période de fraternité. Les totalitarismes vont pervertir l'idée d'homme nouveau. L'empreinte de la structuration religieuse est restée omniprésente, sur un mode inconscient. Officiellement anti-religieuses, ces idéologies veulent réinventer en termes séculiers l'organisation religieuse des sociétés. L'effondrement va être terrible,

Les historiens de l'art d'après 1940 se replient sur le formalisme. Ils ne prennent plus au sérieux, chez les artistes du début du 20ème siècle, ce qui n'est plus pour eux qu'un discours d'accompagnement, telles que les spéculations mystagogiques de Kandisky, de Mondrian ou de Klee. Alors qu'on ne peut pas comprendre cet art en dehors de ces discours. Le discours formaliste permet de maintenir les ambitions initiales, tout en les contenant dans une sphère "professionnelle", dans un monde de spécialistes.

Des liens se maintiennent avec le social. Notamment les Eglises sollicitent les artistes, qui répondent volontiers, notamment par désir de recréer une communauté des humains. Mais globalement les artistes n'interviennent plus qu'en tant qu'experts es-structures formelles. On ne sait pas ce que tout ça peut produire, mais on suppose que ça a un lien avec des profondeurs sociales dans lesquelles on continue à croire, même si les grandes espérances ont disparu. Les années 50 auront la beat generation, les années 60 le flower power, des volontés de retrouver un autre ordre contre les valeurs corrompues de la société occidentale, mais en rejetant la politique.

Les années 70 amèneront la fin de l'utopie, l'effacement du rôle organisateur de la religion, la cassure de l'individuel et du collectif. Ce qui a des effet considérables pour la définition de l'artiste. L'art quitte le spirituel, la recherche d'un nouveau monde inter-humain, l'artiste va devenir l'individu par excellence, un sur-individu qui s'explore. Il y a simultanément une euphorie de la marchandise, du monde matériel, des phénomènes de vedettisation, de survalorisation marchande de l'art. On pourrait y voir une « religion de l'art ». Mais la « religion » doit rigoureusement s'entendre comme un discours substantiel sur un invisible ou une altérité avec laquelle on essaie de se mettre en rapport (altérité qui peut être celle de l'avenir, ce qui va advenir au terme d'une révolution). On n'a plus rien de tel. C'est formellement la notion de sacralisation qui s'applique le mieux au nouveau statut de l'art, un sacré compris en tant que moment extraordinaire, "performance", extra-territorialité, manifestation concrète de quelque chose d'un autre ordre. Ce sacré peut n'être qu'à l'état de traces, et est sans articulation avec un discours religieux ou spirituel. La croyance en nous, qui demeure considérable, trouve dans l'art une place essentielle. Un signe de cette place est l'importance du musée aujourd'hui. Une forme essentielle du religieux s'y retrouve, son caractère fédérateur. L'art est la catégorie d'objets susceptible d'une croyance commune, et au fond la seule dans le monde où nous sommes. Probablement parce qu'il offre la possibilité d'échapper au monde matériel qui nous domine, incarne la possibilité d'un territoire spirituel de l'homme.

La sortie de la religion en tant que force organisatrice de la société est probablement définitif. En revanche, le choc en retour de la sortie de la religion est la redécouverte du religieux au moment où il s'enfuit. Le discours fondamental des sociétés occidentales, hérité des Lumières, révèle ses insuffisances en renvoyant la religion à la superstition, l'obscurantisme, au fanatisme. On s'aperçoit que la religion mérite une attention plus approfondie, qu'elle a été extrêmement importante dans la vie des sociétés, et certains tenants des Lumières reconnaissent que quelque chose les relie à l'expérience religieuse. Cela donne la montée de "la spiritualité", du religieux en dehors de toute institution.

Par exemple la lecture de l'art comme expérience spirituelle redevient une direction de pensée parfaitement légitime. En politique, à l'heure où disparait la confrontation violente entre le rationalisme et la religion, à l'heure du pluralisme, la religion est un droit de la conscience individuelle reconnu parfaitement valide, ce qui va jusqu'à la reconnaissance de l'affirmation de l'identité religieuse dans l'espace publique.

Et d'autre part, la sortie de la religion touche aussi des sociétés qui ne participaient pas du développement de la modernité occidentale. On assiste alors à l'émergence des fondamentalismes.

Il y a donc une résurgence du religieux dans l'espace publique, soit comme repoussoir dans le cas des fondamentalismes, soit comme une des options normales de l'individu démocratique. Le bouleversement des repères est considérable.

Un nouvel art va naitre, capable de transfigurer l'expérience quotidienne. Cette invention par nature ne se programme pas, mais il y aura un retour à un sens primordial de l'art. D'abord à l'attestation de la dignité de l'humain, comme précisément capable d'invention. Dans un monde trivialisant, ou tout s'échange et s'achète, il est besoin d'une catégorie d'objets qui attestent d'autres capacités dans l'humain. Ensuite un retour à ce caractère constituant de notre imaginaire qui nous tourne vers "de l'autre". La réalité ne nous suffit pas, à tout le moins il faut que nous la regardions d'un autre oeil. Tout ceci occupe la place que formellement le sacré occupait dans les sociétés anciennes, même si un discours religieux substantiel sur cette sacralité ne semble plus possible. >>

mercredi, juin 15 2011

"Poètes de l'imaginaire" : Grand prix de l'imaginaire 2011, catégorie Spécial


Jean-Pierre Dionnet me remet le GPI spécial 2011

Ainsi donc Poètes de l'imaginaire a reçu le Grand Prix spécial de l'Imaginaire 2011, dans le cadre du festival Etonnants Voyageurs de Saint Malo. Il est très émouvant d'être honoré par un tel jury :

http://www.noosfere.com/gpi/

Il y a du lourd là-dedans, comme dirait Fabrice Luchini. Mais tout s'est passé de façon décontractée. Jean-Pierre Dionnet a fait une présentation enthousiaste du livre, dans la lignée de ce qu'il avait écrit sur son blogue. Grâce à ActuSF on peut le vérifier en images (à partir de la 2ème minute, pour les pressés) :

http://www.youtube.com/watch?v=_DNux1ZWcH4

J'ai croisé quelques membres éminents de Noosfere, qui d'ailleurs ont reçu ce même prix en 2005 (c'était alors aux Utopiales de Nantes). J'ai aperçu quelques figures notoires de l'édition, Serge Lehman (auteur), Olivier Girard (éditeur, rédac' chef de Bifrost), Laurent Genefort (auteur), ou Thomas Day (auteur, éditeur, critique). On a pu s'apercevoir que je ne suis pas un inquiétant psychopathe, je pense donc que la prochaine fois on me retiendra pour diner. Pour cette fois, nous sommes repartis, l'équipe de Terre de Brume et moi-même, vers d'autres aventures. Un deuxième tome, comme le réclame Jean-Pierre Dionnet ? Hum... Justement...

Après la reconnaissance savante en la personne de Michel Viegnes, spécialiste universitaire de littérature et de fantastique, qui m'a encouragé à publier cette anthologie et a bien voulu la préfacer, voilà que ce sont des critiques bien avertis qui rendent un hommage marqué au travail accompli. Ceci ajouté aux bonnes critiques déjà reçues, il est difficile de demander mieux, non ? Ah, si. Des lecteurs ! Non que le livre soit un bide. D'ailleurs, sa version intermédiaire disponible sur Feedbooks a été à ce jour téléchargée 2300 fois. Mais si Terre de brume n'a pas examiné précisément les ventes, le premier tirage de 1500 exemplaires semble loin d'être épuisé. Il va être intéressant de suivre la carrière commerciale du livre après ce coup de projecteur donné par le GPI, qui me parait vraiment pertinent, aussi bons que soient les autres textes mis en balance pour ce prix, car un livre de poésie a semble-t-il besoin plus que tout autre d'être poussé pour trouver ses lecteurs...

jeudi, mars 17 2011

Les pillocks, leur vies, leurs oeuvres

Tandis que les festivités populaires délirantes entourant la semaine de la langue française battent leur plein, sort sur les écrans de France un intéressant film d'épouvante uruguayen d'origine, qui a le mérite d'offrir une performance cinématographique : c'est un seul et unique plan-séquence, tourné avec un téléphone, et se passant pour l'essentiel dans l'obscurité. Ca s'appelle La Casa muda, ce que les distributeurs ont finement traduits en français par The Silent house...
On m'a signalé un autre film, sorti la semaine dernière, une co-production franco-portugaise navigant à la confluence du cyberpunk et du cinéma expérimental, que son auteur François-Jacques Ossang a du jugé signifiant de le baptiser Dharma guns. En traduisant le film Threads la semaine dernière j'ai appris un mot rigolo qui semble être volontiers employé dans le Nord de l'Angleterre, "pillock", en somme l'équivalent du "couillon" du Sud de la France. Un couillon qui parle anglais, c'est donc un pillock. Ce mot-là je l'adopte sans hésitation, et je sens qu'il va me faire de l'usage.

dimanche, février 6 2011

Discours de Stockholm


Jean-Marie Gustave Le Clézio recevant le prix Nobel de littérature, en 2008

Pas de récompense plus prestigieuse dans le domaine intellectuel que le prix Nobel. Un homme extraordinaire, Alfred Nobel, comme une courte biographie le montre :

http://membres.multimania.fr/xjarnot/Chimistes/Alfred_Nobel.html#Le%20testament%20d%27Alfred%20Nobel

Ce millionnaire excentrique désira encourager par-delà sa mort les personnes qui rendent « les plus grands services à l'humanité. » Ces personnes devaient selon lui se distinguer dans l'un de ces cinq domaines : la physique, la médecine, la chimie, l'action politique consacrée à la paix, et la littérature. Bien après sa mort, l'économie sera ajoutée à la liste, à l'initiative de la Banque Nationale de Suède.

On comprend bien la pertinence d'honorer par exemple les inventeurs du circuit électronique, les découvreurs du virus du SIDA, les spécialistes de la couche protectrice d'ozone de l'atmosphère, toute personne ou organisation oeuvrant pour la prospérité ou les libertés publiques. Mais à côté de ces disciplines liées aux enjeux vitaux de l'humanité, la littérature fait pâle figure. On hésite à affirmer qu'elle rendrait « les plus grands services à l'humanité ». Et pourquoi cette distinction de la littérature au sein des arts et des lettres ? Pourquoi pas un prix Nobel de musique ?

Il faut ouvrir les livres d'histoire pour comprendre ce statut particulier de la littérature, qui prévalait au temps d'Alfred Nobel, le 19ème siècle. « En détrônant l'Eglise, la Révolution a élevé l'homme de lettres » (Françoise Mélonio, « De la culture critique à la culture civique », Histoire culturelle de la France). Bouleversées par le renversement de l'Ancien Régime, les nations se cherchent une nouvelle communauté de valeurs, appellent de leurs voeux un nouveau pouvoir spirituel rassemblant les sciences, les lettres et les arts. Ainsi se crée au 19ème siècle la figure du Poète, où s'allient le penseur et l'artiste, conscience de son temps, prophète annonçant les dogmes nouveaux d'une société réconciliée sous le signe de l'Idéal. Victor Hugo a le mieux assumé cette ambition :

(...)

Peuples! écoutez le poète !
Ecoutez le rêveur sacré !
Dans votre nuit, sans lui complète,
Lui seul a le front éclairé.
Des temps futurs perçant les ombres,
Lui seul distingue en leurs flancs sombres
Le germe qui n'est pas éclos.
Homme, il est doux comme une femme.
Dieu parle à voix basse à son âme
Comme aux forêts et comme aux flots.

(…)

« Fonction du poète », Les rayons et les ombres, 1840.

La littérature était alors « un art d'utilité publique » (Françoise Mélonio). L'angoisse du chaos social était prégnante : « seule la religion empêche les pauvres de se jeter sur les riches pour les égorger » aurait déclaré Napoléon, à l'orée du 19ème siècle. La littérature, forme de religion, avait une mission concrète et supérieure : la cohésion sociale. En 1878 Louis Pasteur écrivait : « les Lettres planent au-dessus des sciences » (lettre à Nizard, citée par Louis Dollot dans Culture individuelle et culture de masse.) Et c'est ainsi qu'il y a un prix Nobel de littérature, qu'Alfred Nobel désirait voir attribuer à une oeuvre « d'inspiration idéaliste ».

Funérailles de Victor Hugo – Dessin aquarellé de Georges François Guiaud

L'enterrement de Victor Hugo en 1885 fut une apothéose. Son cercueil fut exposé sous l'arc de triomphe, surplombé par un gigantesque catafalque, avant d'être emmené sous les yeux de la foule à sa dernière demeure, le panthéon. Alfred Nobel meurt 11 ans plus tard. Il ne verra pas la transformation de l'écrivain-prophète en « intellectuel », notion qui se diffuse avec l'affaire Dreyfus à partir de 1898. La presse devient le média dominant. Celui qui fait profession d'écrire a une audience potentielle inconnue de Victor Hugo, le poète se fait souvent journaliste ou intervient dans le domaine politique via les tribunes des gazettes. Il ne parle plus seulement du haut d'une chaire, délivrant des paroles de feu, il commente l'actualité et se rallie aux forces politiques en présence. André Gide, André Malraux, François Mauriac, Louis-Ferdinand Céline écrivent articles et pamphlets. A partir des années 30, les engagements deviennent féroces.

Fidel Castro, Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre et Ernesto Guevara – Cuba, 1960

La figure du littérateur engagé meurt durant la seconde guerre mondiale. Pourtant réaffirmé et théorisée en 1945 par Jean-Paul Sartre, elle le cède peu à peu sur la place publique à celles du philosophe et du savant. Une passion anti-humaniste s'empare des meilleurs esprits, et la littérature est devenue suspecte. Elle est une illusion, et on sait maintenant où cela peut mener. « La poésie est-elle encore possible après Auschwitz ? » se demande Theodor Adorno. La littérature est disséquée dans les laboratoires de sociologie, de linguistique ou de psychanalyse. Le littérateur est marginalisé dans le débat public, à moins que tels Jean-Paul Sartre et Albert Camus il ne cumule aussi le statut de philosophe ou de savant.

Après ce traitement, que reste-t-il de la « littérature civique » héritée du 19ème siècle, et donc de « l'idée Nobel » de la littérature ? Pas grand chose, à vrai dire. Certes les lauréats du prix Nobel ne déméritent pas au regard de leurs illustres prédécesseurs, ils affrontent certains problèmes contemporains, portent un regard aussi large que possible sur la condition humaine, pratiquent une littérature qui n'a pas renoncé aux idées. Mais notre regard sur cette littérature a changé. Le confort acquis au cours des Trentes Glorieuses a détendu les rapports sociaux ; la misère qui autrefois faisait partie du paysage nous apparaît aujourd'hui comme une aberration. Pas de guerre ou de révolution en France depuis la fin de la guerre d'Algérie, il y a 50 ans. Nos gouvernants modèrent leurs instincts belliqueux et ceux de leur peuple, ils assurent suffisamment de justice sociale pour éviter les motifs de révolution. La cohésion de la société française n'est plus un enjeu criant. La littérature n'est plus sommée de nous donner le Verbe unificateur et mobilisateur.

Cette perte de statut n'est d'ailleurs pas propre à la littérature. Tous les débats, esthétiques, philosophiques, politiques, sont retombés. La cinéphilie des années 60, qui faisait de Federico Fellini ou de Stanley Kubrick des demi-dieux, est morte sans successeur. Les intellectuels sont retournés à leurs études vers le milieu des années 80. Les merveilles de la science ont cessé d'émerveiller. Philippe Delerm a écrit que le journal du matin a désormais pour principale fonction d'accompagner notre café. C'est atroce, mais c'est vrai. Notre société stabilisée, pacifiée, vit dans un climat intellectuel globalement bonasse.

Certains déplorent que la littérature soit devenue nombriliste. Mais la littérature, et tous les arts, ne sont qu'un miroir, ou mieux, un spéculaire, au sens où ce mot évoque aussi une spéculation. La littérature d'aujourd'hui n'est donc que le reflet d'une société occidentale bien au chaud derrière ses frontières, dominée par l'utopie d'une jouissance sans entraves ayant pris une forme libertaire puis une forme libérale, et qui est en train d'atteindre ses limites. La littérature devrait donc bientôt changer.

L'exorciste




Le film le plus terrifiant de tous les temps ? Il s'est quand même produit, depuis 40 ans, quelques vrilleurs de nerfs bien éprouvants. A titre personnel je recommanderais The thing, de John Carpenter, La guerre des mondes de Steven Spielberg, ou 28 jours plus tard de Danny Boyle. Et on est allé beaucoup plus loin dans l'horreur et le sordide. On peut s'en faire une idée ici : http://horreur-web.forumactif.com/t6961-top-20-films-troublants
Néanmoins il est étonnant qu'un film de 1973 soutienne encore la comparaison avec le meilleur de ce qui l'a suivi. Le spectateur qui ne l'a pas vu aurait d'ailleurs intérêt à éviter la version de 2000, dite « intégrale », que 11 minutes supplémentaires et quelques effets spéciaux numériques ne font qu'alourdir. Si L'Exorciste vieillit aussi bien, c'est sans doute que, tout en jouant la carte de la terreur, il est plus riche et original que 99% de ce qui s'est produit depuis.
Antechrista
Le film emprunte d'abord la voie du paranormal : les troubles du comportement d'une jeune fille que la médecine, pourtant lourdement équipée, n'arrive pas à diagnostiquer. Le film raconte ainsi un long martyr qui commence sur les tables d'examen d'une clinique. Suit une longue dégradation morale et physique. Bientôt le visage de la jeune fille est lacéré sous ses propres coups. Et pire. Il y a un tel acharnement sur ce corps que le film serait définitivement choquant si la jeune fille n'était pas son propre tortionnaire. Un chemin de croix, en quelque sorte, non plus salvateur mais autodestructeur. Ainsi donc on devine le visage du démon à travers celui d'une enfant : il est décoloré, boursoufflé, lacéré, aux yeux exhorbités.
L'épouvante en plein jour
Un des procédés courants de l'effroi fantastique est la déterritorialisation. Projetter des personnages dans un territoire vide d'autres présences humaines est un bon moyen de susciter l'inquiétude. Par exemple dans Shinning. Ou jeter un voile d'étrangeté sur les choses familières en les plongeant dans la nuit. L'exorciste est ce film qui présente la particularité d'installer l'épouvante dans une maison cossue de centre-ville, l'après-midi, dans la chambre d'une gentille jeune fille.
Lumière d'automne
Le film se déroule à l'automne. C'est aussi l'automne d'un monde, William Friedkin a capté l'air du temps. La mère de l'héroïne, une actrice, est sur le tournage d'une saga politique qu'elle qualifie de « vie d'Ho Chi Min vue par Walt Disney ». C'est la fin de l'élan révolutionnaire. Un astronaute est convié à une soirée, la chose est devenue banale. La foi des prêtres vacille. S'il n'était pas entré dans les ordres, le héros serait devenu un psychiatre aisé, et aurait pu offrir une fin de vie digne à sa mère, qui est morte dans un hospice. Dans ce film les héros vacillent, ils doutent, ils ont peur.
Le retour du refoulé
C'est un film très calme, que certains trouvent même trop lent, quasiment sans musique. Les brusques convulsion de la bête n'en sont que plus choquantes. Ses cris finissent par emplir la maison. Quelque chose veut être entendu qu'il n'est pas possible d'ignorer. C'est le retour du mystique et du sacré dans une société où il n'a plus sa place. On fait donc appel aux catholiques, qui dans la psyché américaine sont tenus pour de vieux sorciers, pour guérir la jeune fille par le rituel de l'exorcisme. Cette silhouette de l'exorciste de l'affiche, devenue célèbre, est d'ailleurs ambivalente : elle baigne dans une lumière étrange. Certains spectateurs sont d'ailleurs d'abord convaincus que la menace du film, c'est lui. Le retour du sacré se fait par sa face terrifiante. Jamais la formule « la littérature fantastique est fille de l'incroyance » (Louis Vax) n'a mieux été illustrée.
Requiem
Un fameux cinéaste européen, réputé lui-aussi pour ses films fantastiques, a un jour déclaré que L'exorciste le gênait en l'obligeant à croire aux dogmes chrétiens pour pouvoir adhérer au film. Il y a d'ailleurs un contrepoint rationaliste à L'exorciste, avec un bon film allemand de 2006, Requiem, qui n'est pas un film fantastique, mais l'étude psychologique d'une jeune femme qui se sent assaillie par des forces occultes. L'histoire est située dans les mêmes années. A se demander si Requiem n'a pas été conçue comme une réplique à L'exorciste. Ce qui serait assez vain. Car de quel sacré s'agit-il dans L'exorciste ? Un détail attire peu l'attention des commentateurs : le père Karras doute de l'authenticité de la possession lorsque la jeune fille, sous l'effet d'une aspersion de pseudo-eau bénite, se tord de douleur. Et les incantations de l'exorcisme ont l'air bien dérisoires face à la puissance de la bête. L'exorciste ne croit pas en Dieu, mais il croit au Diable. La bête joue avec les hommes et leurs croyances. D'ailleurs, le seul ajout pertinent de la version de 2000 est un court dialogue entre les deux exorcistes, où le Père Merrin conclut que la bête a choisi une jeune fille pour mieux désespérer les hommes. Ce n'est pas par une intervention divine, mais par le sacrifice et une volonté retrouvée au bord du gouffre que la bête sera vaincue. A la fin, demeurent la mélancolie et le mystère.

samedi, février 5 2011

"Poètes de l'imaginaire" : les critiques

La première critique de Poètes de l'imaginaire a d'abord été celle du n°60 de la revue Bifrost ; Il y est dit, en résumé, que ce "stupéfiant corpus" dessine "une cartographie de l'Imaginaire francophone saisissante".

Org, le critique de Bifrost, qualifie le livre de "inattendu". Mais il n'aurait jamais vu le jour s'il n'avait été au contraire attendu par quelques-uns, ou du moins encouragé. Hors de ma petite famille qui a vécu avec mes absences pendant environ 2 ans, durée de l'écriture de ce livre, Poètes de l'imaginaire doit à Bruno Peeters, dont les réactions enthousiastes à la diffusion sur SFFranco de quelques-unes de mes trouvailles poétiques ont été un stimulant pour moi. La critique du livre qu'il donne pour le webzine Phenix-web est logiquement favorable. Au moins n'ai-je pas déçu l'intérêt qu'il portait à priori au projet. Son texte est accessible en réseau ici :
http://www.phenixweb.net/FONTAINE-Sylvain-anth-Poetes-de-l

Les chroniques de l'imaginaire estiment que le livre est "un indispensable qui devrait trouver sa place sous bien des sapins". J'aurais bien aimé en effet qu'on me l'offre lors de mes années de lycée...  
http://climaginaire.joueb.com/news/poetes-de-l-imaginaire

Particulièrement touchante pour moi est la série de 4 billets que Jean-Pierre Dionnet a consacré au livre sur son blogue :
http://www.humano.com/blog/l-ange-du-bizarre/year/2010/month/12/1
D'abord parce qu'il faut savoir qu'à la charnière des années 70 et 80, le fantastique et la science-fiction étaient rarissimes sur les ondes françaises, radio ou télé. Dans ce désert, il y eut Jean-Pierre Dionnet et Philippe Manoeuvre. Intersidéral, sur France-Inter, me scotchait à la radio à partir de 22 heures. Lorsqu'un héros de votre jeunesse se penche sur vos travaux et vous dit : « bravo, p'tit gars », ça fait plus que plaisir... Ensuite, je me suis rendu compte avec le temps de l'importance de Jean-Pierre Dionnet. La notion de science-fiction française a tendance à faire ricaner ceux qui n'ont qu'un intérêt accessoire pour le genre... Parce que la science-fiction française n'a toujours pas percé dans les 2 médias qui comptent par-dessus tout, la télé et cinéma ; parce qu'en littérature elle ne s'est pas imposée non plus face aux anglophones. Mais la science-fiction française, c'est dans les arts plastique et particulièrement la BD qu'elle existe et qu'elle excelle internationalement, et cela on le doit éminemment à Jean-Pierre Dionnet et son magazine Métal hurlant, qui reste le maitre-étalon d'une réussite francophone en science-fiction (traduction du titre dans 17 pays, dit l'internet). Et l'une des ambitions de ce livre est de montrer que l'imaginaire s'écrit aussi bien en français qu'en anglais... Enfin, lorsqu'un bonhomme aussi averti écrit qu'il a longtemps nourri les intuitions que j'ai concrétisé, vraiment j'ai le sentiment de ne pas avoir perdu mon temps.

Jean-Luc Rivera, sur Actu SF, s'étonne d'avoir aimé le livre : « je pense que, comme moi, même si ils ne sont pas spécialement amateurs de poésie, les lecteurs seront agréablement surpris. » Mais comment la poésie en est-elle arrivée à avoir une image aussi dégradée, au point qu'on s'étonne aujourd'hui de l'aimer ? (Moi le premier !)
http://www.actusf.com/spip/article-10507.html

René-Marc Dolhen salue la somme de travail, et il s'y connait ce pillier de la nooSFere :
http://www.actusf.com/spip/article-10507.html

Frédérique Roussel, du journal Libération, spécialiste du multimédia et de la littérature de l'imaginaire (ce sont des mots qui vont souvent très bien ensemble), a signalé la parution du livre dans le très exigeant cahier Livres de ce journal :
http://www.liberation.fr/livres/01012308304-livres-vient-de-paraitre

Nébal clamait son aversion pour la poésie. Le livre l'a convaincu du contraire, ce qui n'est pas une mince satisfaction :
http://nebalestuncon.over-blog.com/article-poetes-de-l-imaginaire-de-sylvain-fontaine-ed-77996763.html

Soleil vert, un habitué des cercles SF, se demande lui-aussi d'où vient l'à-priori négatif qui colle aujourd'hui à la notion de "poésie" :
http://soleilgreen.blogspot.fr/2012/06/pourquoi-ne-lit-ton-plus-de-poesie.html

La lettre du bel aujourd'hui trouve l'anthologie "originale et remarquable" :
http://lalettredubelaujourdhui.wordpress.com/2012/02/16/poetes-de-limaginaire/


Flo-Neja :
http://flo-nelja.dreamwidth.org/383214.html

La critique la plus réservée sur le livre émane d'une chroniqueuse de Salle 101, émission de la radio associative Fréquence Paris Plurielle, qui le 27 octobre 2011 trouvait le pari "à moitié réussi", notamment au motif que l'organisation du livre est "très universitaire" et qu'il y a des "études universitaires plus modernes" sur le sujet. L'émission est disponible en réseau, le livre est traité à partie de 12' 45" :
http://emission.salle101.org/?p=749
(clic droit sur le lien dans la page de ce site, puis choisir "enregistre la cible du lien sous")

vendredi, février 4 2011

"Poètes de l'imaginaire" en librairie




Que connaissons-nous de la poésie, aujourd'hui ? Poésie classique : des récitations laborieusement apprises et débitées sans âme devant une classe qui s'en fiche. Poésie moderne : des textes désarticulés et dénués de sens apparent. Au mieux : une atmosphère éthérée, compassée, le passe-temps étrange d'individus à la limite de la névrose...

Pourquoi alors avoir cherché des poèmes se rapportant aux genres du fantastique, de la science-fiction et de la fantasy ? Sans doute suis-je un peu fatigué par l'imaginaire tel qu'il s'écrit aujourd'hui, et j'aspirais à des textes un peu plus corsés. La poésie m'avait tout de même laissé quelques bons mais fugaces souvenirs. Poètes de l'imaginaire est le fruit de cette recherche.

Après en avoir diffusé une version de travail sur le site Feedbooks, toujours téléchargeable en plusieurs formats numériques, dont le pdf et l'epub :

http://fr.feedbooks.com/userbook/5698

je l'ai proposée à l'éditeur Terre de brume, qui fait aujourd'hui le pari d'en commercialiser une version substantiellement enrichie et réorganisée, préfacée par Michel Viegnes, professeur de littérature française à l'université de Fribourg. Je dispose d'ailleurs de quelques exemplaires d'auteur, en vente ici :

http://www.priceminister.com/offer?action=desc&aid=346672137


Je n'imaginais pas que la poésie, le 19ème siècle et la langue française me réserveraient autant de surprises. Qu'on en juge à la table des matières :

http://www.noosfere.com/icarus/livres/niourf.asp?numlivre=2146577983

Je pense qu'il y a beaucoup à dire et à faire autour de ce livre, j'éspère qu'il ne fait que commencer son chemin...